Dès la première tentative, elle réussit les épreuves du concours Un des Meilleurs Ouvriers de France (MOF), catégorie poissonnier écailler. A peine son titre en poche, à 28 ans, Sonia Bichet décide de faire dans la foulée un tour du monde, à la fois pour apprendre et pour transmettre. Elle baptise « 20 000 lieux sous les mers » ce périple initiatique.
A moins de prendre un avion pour traverser les continents, s’entretenir avec Sonia Bichet ne pouvait se faire que par téléphone. Depuis septembre 2023, la jeune femme a entrepris un tour du monde d’un an, un périple qu’elle a baptisé « 20 000 lieux sous les mers », un clin d’oeil à l’ouvrage « 20 000 lieues sous les mers » de Jules Verne, sujet du concours 2023 d’Un des Meilleurs Ouvriers de France.
Le jour de l’entretien téléphonique, Sonia Bichet répondait à nos questions depuis la Tasmanie. Elle n’était alors qu’à mi-parcours de son incroyable aventure sur tous les continents, à la rencontre de pêcheurs, de chefs étoilés et de tous ceux qui, comme elle, partagent la passion du poisson et des produits de la mer.
Pourtant, absolument rien ne prédestinait Sonia Bichet à devenir poissonnière. Née dans la Vallée de Chevreuse, loin de la mer, elle raconte qu’elle se pinçait le nez, « comme tout le monde », en passant devant une poissonnerie. Élève de terminale, elle se destinait à des études de droit. En attendant, et pour gagner un peu d’argent, elle a commencé à travailler le week-end, sur les marchés, avec des poissonniers. « J’avais 17 ans, mes parents venaient de se séparer et j’étais en quête de vraies valeurs. Je les ai trouvées en côtoyant des personnes qui n’étaient pas dans le paraître ni la superficialité », raconte Sonia.
La révélation de la poissonnerie
Cette expérience sur les marchés, où il fallait se lever aux aurores, passer des heures dans le froid et l’humidité, fut pourtant le premier signe d’une révélation : Sonia voulait devenir poissonnière.
La première épreuve à surmonter était de dépasser les a priori liés à cette profession, les jugements de son entourage et de ses amis qui ont tenté de la dissuader. En vain. « Plus on me dit non, plus je fonce », lance-t-elle avec malice.
Sonia a commencé par passer son baccalauréat classique avant de se lancer dans un Bac Pro à Rungis et quitter la maison familiale pour apprendre son futur métier, en alternance avec ses études, dans des poissonneries parisiennes.
Dès 2015, elle devient l’Un des Meilleurs Apprentis de France, pendant que l’un de ses professeurs se prépare au concours de MOF. Cet exemple de rigueur et d’engagement la fascine. Mais elle n’aura le droit de s’inscrire qu’à l’âge de 23 ans. Puis, il lui faudra attendre quatre ans avant de tenter l’épreuve. En tout, huit années de patience, qu’elle occupe en perfectionnant différentes techniques – filetage du poisson cru, réalisation de plateaux de fruits de mer – dans des palaces en Suisse et à Monaco.
La folle idée du tour du monde
Lorsque vient enfin l’heure du concours d’Un des Meilleurs Ouvriers de France, elle puise dans ses forces pour réussir chaque épreuve. Huit ans d’entraînement et le surmenage des six derniers mois ont laissé des traces. Elle réalise alors que ce concours est tellement exigeant que son rêve se transforme en cauchemar. Cependant, elle décroche le titre et voit changer les regards portés sur elle. Des propositions de travail arrivent d’Australie et de New York. Comment faire un choix ? Sonia décide précisément de ne pas choisir et de se rendre sur tous les continents. L’idée est alors née d’un tour du monde d’un an, avec pour objectif de promouvoir à l’international l’artisanat français dans le domaine des produits de la mer. Dans le même temps, elle a pour dessein de s’enrichir du savoir-faire de tous ceux qu’elle allait rencontrer. Sans oublier de s’investir dans son nouveau rôle de MOF, avec les valeurs éthiques et professionnelles que véhiculent les Meilleurs Ouvriers de France.
Après seulement un mois de préparatifs, Sonia se lance dans son odyssée. Elle avait recueilli des financements auprès de sponsors mais ils étaient assortis d’engagements et elle aurait perdu sa liberté : elle a préféré contracter un emprunt bancaire et vivre son aventure sans rendre de comptes. Elle accepte seulement le soutien de la confédération des poissonniers-écaillers de France (Opef) et du ministère des affaires étrangères.
Très vite, elle se rend compte qu’elle était un peu inconsciente d’avoir entrepris une telle aventure en aussi peu de temps et que cette épreuve initiatique allait bouleverser sa vie. Entre les décalages horaires, les langues étrangères à pratiquer et le grand écart à réaliser entre tous ses interlocuteurs – monter un matin sur le bateau de pêcheurs du bout du monde puis, pénétrer le lendemain dans la cuisine de grands chefs -, l’exercice allait vite devenir aussi épuisant que passionnant.
Une épreuve initiatique
« C’est en partant à la rencontre des autres que je me suis découverte, confie Sonia Bichet. J’ai fait à la fois connaissance avec la femme que je suis devenue et j’ai pris la mesure de mon statut de Meilleur Ouvrier de France, qui implique de montrer l’exemple et de transmettre ». Aujourd’hui, son objectif est de susciter des vocations, de présenter son métier aux jeunes, de souligner qu’il permet de voyager dans le monde entier tout en gagnant correctement sa vie, contrairement aux idées reçues sur cette profession.
Après son tour du monde, Sonia envisage de participer à quelques masterclasses en France pour aider à changer l’image des poissonneries, faire découvrir des poissons méconnus et enseigner comment les cuisiner.
Mais elle pense que sa vocation est avant tout d’exercer à l’étranger. Elle souhaite notamment s’engager pour protéger la planète qu’elle voit se dégrader partout où elle passe. Son autre vœu est de fonder une association pour aider ceux qui ont le moins de moyens à exercer les métiers de la mer : les pêcheurs modestes ou les jeunes qui se lancent dans ce secteur. Dans tous les pays qu’elle traverse, elle prend le temps d’organiser des masterclasses auprès d’enfants.
De son aveu, le plus grand enrichissement qu’elle aura acquis après ce tour du monde est lié aux rencontres : « J’ai gravé dans ma mémoire des histoires humaines pour ma vie entière ». Et parce que le devoir d’Un des Meilleurs Ouvriers de France est la transmission, c’est le grand enseignement que la jeune femme a retenu de son extraordinaire odyssée.
Carine Loeillet