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Aventure sous la glace

Aventure sous la glace

Perchés à 2000 mètres d’altitude, les lacs gelés choisis pour cette aventure insolite organisée par Sealadventures sont nichés dans un cirque, l’un des lieux les plus froids de France.

Romain Libet – Seal Adventures

En arrivant, on découvre un paysage raide, abrupte et minéral, il faut tendre le cou pour apercevoir les plus hautes crêtes enneigées. Les étendues d’eau sont recouvertes par la glace et par un manteau neigeux d’un blanc immaculé, sans une ride. Le temps est parfait, pas de vent ni de neige, le ciel est d’un bleu pur comme on peut le
voir les bons jours en montagne, c’est dans ces moments que j’aime dire : « La chance sourit à ceux qui croient en leurs rêves ».
La suite est encore bien mystérieuse, à ce stade, nous entrons dans un refuge en bois et en pierre, l’image exacte que l’on se fait d’un abris qui accueille ceux qui arpentent la montagne en cherchant l’évasion et une forme de dépassement. On distingue un petit trou rond dans la glace, j’interroge Philippe sur ses impressions de l’instant, il est très enthousiaste, ne sait pas à quoi s’attendre mais ne redoute pas le froid. Nous approchons, les bulles des plongeurs immergés ressortent comme de petits geysers
par des failles invisibles. L’eau est sombre, noire, mais nous savons par expérience qu’une fois sous la surface, tout s’illumine.

Il est temps de s’équiper pour plonger sous la glace. Nous entrons dans l’abri pour enfiler les combinaisons étanches. Il faut de l’aide pour passer les mains dans les manchons, la tête dans la collerette, visser les gants et enfin fermer la glissière dorsale. A partir de là, nous sommes étanches partout sauf au niveau du visage.
Après quelques mètres dans la neige, nous sommes de retour au bord du trou, l’excitation de l’inconnu nous gagne. On nous assiste pour les dernières étapes, mettre le
scaphandre dans le dos, les palmes et plaquer le masque facial qui isole totalement notre visage de l’eau.

Nous voici maintenant totalement étanches, respirer ainsi est perturbant, l’espace mort généré par le dioxyde de carbone expiré essouffle si l’on ne ventile pas profondément et calmement. A cette altitude, l’air est moins dense qu’au niveau de la mer, on absorbe moins d’oxygène à chaque inspiration. On pense aux alpinistes qui montent d’un camp à l’autre progressivement pour laisser le temps à l’organisme de créer plus de globules rouges, les transporteurs d’oxygène. Nous n’avons pas encore fabriqué les nôtres.

La couche de glace est épaisse, environ 30 centimètres, il s’agit de s’appuyer sur le bord et de pivoter pour descendre dans l’eau. Avec l’air emprisonné dans la combinaison, on flotte comme des tortues maladroites. Il est temps de purger l’air en utilisant la soupape au niveau du bras. On récupère alors notre aisance.
Tout est encore sombre, nous sommes entre trois mondes, le ciel azur, la montagne blanche et l’eau noire mystérieuse. Nous dégonflons les gilets pour descendre à deux mètres sous la surface. C’est là que l’expérience est captivante, nos yeux s’habituent et tout devient bleu, vert, blanc, éclatant. Le regard est attiré par la glace, elle forme des lignes et des courbes pétrifiées, les variations de couleurs sont indescriptibles.

La progression se fait le long d’une ligne tendue d’un trou à l’autre, c’est le seul moyen de s’orienter pour ne pas rester piégé dans un dédale glacé infini et inabordable avec l’autonomie dont nous disposons. Au loin, un puit de lumière se dessine, la vision est irréelle, telle une porte invisible vers les étoiles, nous passons du temps à regarder nos bulles filer par le trou, à l’envers, les pieds sur la calotte de glace et la tête vers le bas « on a marché sous la glace ». Nous nous sommes sentis astronautes quelques instants, mais le besoin vital de sentir l’eau et la morsure du froid sur notre peau se faisait sentir. Nous revenons le lendemain, cette fois-ci le challenge est différent. Nous enfilons nos combinaisons adaptées à l’apnée à l’extérieur de l’abris. Il faut les remplir d’eau savonneuses pour les faire glisser sur la peau. La sensation de se retrouver en maillot de bain au coeur de ces grandes montagnes est particulière, il faut faire vite pour ne pas se refroidir. Le soleil est bien haut dans le ciel, nous n’avons pas froid pour le moment. La descente vers le trou de glace est un peu plus hasardeuse, les chaussettes adaptées aux longues palmes d’apnée glissent sur la neige.

Finalement nous glissons dans l’eau, elle est à 1 degré, juste au dessus du point de congélation. Avec l’altitude et l’émotion de vivre une véritable aventure, le souffle est court, nous avons perdu les repères acquis en mer. Il faut faire un effort pour se glisser en dessous après la dernière inspiration, progresser en évitant de se faire aspirer par la surface de glace, penser au demi tour et au retour. Mais, après quelques minutes, le froid reste supportable, le calme s’instaure et les distances parcoures s’allongent. Jusqu’au moment décisif, cette fois, pas de demi tour avant d’atteindre le prochain trou, 15 mètres plus loin, quelle sensation exaltante.

Romain Libet
Sealadventures