Depuis une dizaine d’années, l’industrie automobile connaît une mutation profonde, dictée par les impératifs environnementaux, l’électrification et l’automatisation. Pourtant, en marge de cette évolution technologique, un phénomène attire l’attention des passionnés d’automobiles : le renouveau des voitures vintage.
Véritables œuvres d’art mécaniques, ces véhicules sont réinterprétés ou ressuscités par des constructeurs historiques ou de nouveaux artisans. Ils conjuguent patrimoine esthétique, performances contemporaines et technologies modernes. Cet engouement répond-il à une quête d’authenticité ou de sensations brutes ? N’est-ce pas finalement une façon de s’ancrer dans la certitude et l’existant alors que la situation politique, économique mondiale est en pleine mutation ?
La Nostalgie comme moteur du renouveau
On le voit chaque année, de plus en plus nombreux sont les visiteurs qui déambulent dans les salons automobiles classiques. Ces concours d’élégance et autres salons de prestige sont des vitrines privilégiées pour ces supercars vintage modernisés. Que ce soit à Pebble Beach aux USA, au Concorso d’Eleganza Villa d’Este en Italie, ou encore au salon Rétromobile à Paris, le nombre de visiteurs et en constante augmentation et les achats se multiplient. L’une des raisons réside dans le fait que les visiteurs retrouvent les voitures de leur jeunesse, la nostalgie et le besoin de s’approprier une voiture qui les faisait rêver, enfant.
Le salon Rétromobile existe depuis bientôt 50 ans et attire presque 150 000 visiteurs. En 2025, il a comptabilisé 12% de passionnés en plus par rapport à 2024. D’autres salons suivent ses traces et, suite à l’engouement évident pour les voitures classiques, de nouveaux événements émergent : Prestige de Beaune, créé en 2022, ou encore Deauville Classic, lancé en 2024, qui vient d’organiser sa deuxième édition avec un peu plus de 12 000 visiteurs. Jean-François Texier, son créateur, s’étonne du nombre de ventes réalisées sur place : « certains viennent pour visiter et repartent avec une voiture ». Un achat d’impulsion qui s’explique sans doute par la morosité ambiante qui incite le monde à trouver un exutoire. Sinon, comment expliquer les sommes astronomiques dépensées pour ces voitures de collection ? 31 millions d’euros pour la Ferrari 250LM 1964 de Scaglietti lors de la dernière vente aux enchères RM Sotheby’s en février 2025. Les ventes les plus importantes accueillent plus de 1000 inscrits. Certains viennent surenchérir sur place, d’autres par téléphone ou encore, par internet. Tous friands d’investir dans ces voitures de collection. Artcurial, Bonhams et d’autres maisons de vente brassent des fortunes à travers ces véhicules de rêve souvent vus comme des investissements, tant leur rareté garantit une valorisation à long terme. De plus, leur production limitée, associée à des programmes d’authentification constructeur, assure une traçabilité essentielle pour les collectionneurs.
Ceux qui n’achètent pas réparent. Difficile de se séparer de ces voitures, de ces marques qui ont influencé l’industrie, qui ont appartenu à nos parents ou grands-parents. De nombreuses sociétés l’ont bien compris et se sont lancées dans la restauration de voitures anciennes et de prestige. Jacques Bidault, ancien cadre de Dassault Systèmes, entretenait une passion pour l’automobile depuis de nombreuses années. Une opportunité dans sa vie professionnelle l’a amené à accomplir son rêve en créant la société AutoRosati à Fontenay aux Roses. Il restaure, embellit, transforme des voitures de prestige mais pas que. Il voit défiler au côté des Porsche, Ferrari ou Jaguar, des voitures de séries anciennes dont les propriétaires ne veulent pas se détacher.
Il faut dire que l’automobile, plus que tout autre objet industriel, provoque une dimension émotionnelle forte. Les supercars des années 1960 à 1990 ont marqué des générations, que ce soit par leur présence sur circuit, leur rôle dans la pop culture, ou tout simplement, leur esthétique. Les Lamborghini Miura, Ferrari F40 ou McLaren F1 ne sont pas seulement des voitures : ce sont des symboles.
Le marché est donc mûr pour une réinterprétation de ces légendes, portée par la nostalgie et la recherche de sensations plus pures. Contrairement aux supercars modernes, souvent assistés électroniquement, les modèles vintage offrent une expérience de conduite viscérale où le pilote fait corps avec la machine.
Les acteurs du renouveau : entre renaissances et nouveaux-nés
Le renouveau des supercars vintage n’est pas seulement une initiative de collectionneurs passionnés. Plusieurs constructeurs historiques et nouveaux créateurs participent à ce mouvement, en ressuscitant des icônes ou en proposant des véhicules fortement inspirés des grands classiques.
Pour Lamborghini, c’est la renaissance de la Countach avec la LPI 800-4 produite à 112 exemplaires et déjà tous vendus, qui s’inspire directement des lignes iconiques de la Countach des années 1970. Elle est propulsée par un moteur V12, 780 ch associé à un moteur électrique de 48 volts monté directement sur la boîte de vitesses, qui fournit une puissance supplémentaire de 34 ch pour une réponse instantanée et des performances accrues. Ses clients du monde entier ont le privilège de conduire un morceau d’histoire automobile réinventé pour le futur.
Quant à Aston Martin, c’est la DB4 GT Zagato Continuation, produite à seulement 19 exemplaires, qui est une réédition fidèle de la mythique DB4 GT Zagato de 1960. Cette voiture célèbre à la fois le centenaire du carrossier italien Zagato et l’héritage d’Aston Martin. Non homologuée pour la route, elle s’adresse aux collectionneurs et amateurs de conduite sur circuit, désireux d’accéder à l’expérience de la conduite d’époque, mais avec une fiabilité moderne. Entièrement assemblée dans l’usine historique de Newport Pagnell, la DB4 GT Zagato Continuation dispose d’une carrosserie en aluminium façonnée à la main et sous le capot, on trouve un six cylindres atmosphériques de 4,7 litres développant 390 ch, couplé à une boîte manuelle à quatre rapports et un différentiel à glissement limité, contre 300 ch pour la version originale.
Chez Bugatti, la Type 57 SC Atlantic, dévoilée il y a près de 90 ans, demeure une source d’inspiration inépuisable pour les amateurs d’automobile et les esthètes du monde entier. Ce chef-d’œuvre intemporel a directement influencé la conception de la Bugatti Chiron Super Sport, en particulier dans sa déclinaison exclusive « 57 One of One ». De nombreux éléments emblématiques de l’Atlantic – notamment sa ligne dorsale rivetée qui parcourt l’intégralité de la carrosserie – ont été réinterprétés avec modernité sur ce modèle d’exception. La calandre en fer à cheval de la Type 57 SC Atlantic, semblant suspendue entre les ailes galbées, reste l’un des signes distinctifs les plus puissants du design Bugatti. Pour la Chiron Super Sport « 57 One of One », l’équipe Sur Mesure a collaboré étroitement avec les ingénieurs afin de rendre un hommage fidèle à cette icône, tout en respectant la philosophie fondatrice de la marque : « La forme suit la performance ». À l’extérieur, une nouvelle calandre et des jantes chromées aux reflets bleutés rappellent l’élégance d’antan. À l’intérieur, le cuir Gaucho et des broderies personnalisées célèbrent avec subtilité l’héritage Bugatti. Un véritable pont entre passé mythique et avenir légendaire.
D’autres marques renaissent de leurs cendres et continuent de s’inspirer de leurs modèles d’antan tout en innovant avec leur savoir-faire. C’est le cas de la légendaire maison de carrosserie Saoutchik. Après plus de 70 ans d’absence, ce symbole du luxe automobile des années 1920 à 1950 renaît grâce à Saoutchik B.V., une société fondée en 2016 aux Pays-Bas. Sa mission : recréer l’émotion et l’élégance d’antan en y associant les standards technologiques du XXIᵉ siècle, dans des créations automobiles ultra exclusives et sur-mesure.
Cette entreprise ne se contente pas de reproduire le passé : elle le réinterprète. Elle conçoit et fabrique des véhicules uniques, alliant design classique, haute ingénierie et matériaux de pointe, dans une approche intégrée allant du premier croquis à la production finale. Chaque modèle, produit en série très limitée, est destiné à une clientèle d’esthètes exigeants et de collectionneurs avertis.
L’expérience proposée dépasse la simple acquisition d’une voiture : le client participe activement à la conception de son véhicule, intégré à un cercle fermé qui fait de cette aventure un luxe émotionnel. En rendant hommage aux carrossiers d’autrefois tout en innovant, Saoutchik redéfinit la notion de supercar vintage moderne. Elle offre des œuvres roulantes, alliant histoire, style et performance, incarnant l’essence même de l’automobile d’exception à l’ère contemporaine. Ainsi la Saoutchik Legacy est simple et ambitieuse : s’approprier l’ADN de l’un des plus grands classiques du design automobile et le réinterpréter, avec respect et maîtrise, pour répondre aux exigences de la vie contemporaine.
Inspiré par la Mercedes 300 SL, le bureau de design et d’ingénierie d’Ugur Sahin Design a œuvré avec minutie pour recréer une vision contemporaine de ce modèle mythique, en en faisant un nouveau classique intemporel.
Une autre marque française s’est relancée en 2019, après sept décennies d’absence : Delage Automobiles, victoire au Mans, victoire aux 500 miles d’Indianapolis, champion du monde des Grands Prix et reine des concours d’élégance pendant la première moitié du XXème siècle. Ces voitures sont vendues à des collectionneurs du monde entier, parfois pour plusieurs millions. Aujourd’hui, la marque Delage, symbole de l’élégance et de la vitesse, s’est inspirée de ces exploits et de la Delage 15 S8 de 1927 pour créer avec une équipe d’investisseurs et d’ingénieurs la D12, dont le design à la fois pur et agressif rappelle la Formule1 et les avions de chasse. Désormais, Delage annonce sa prochaine hypercar et un projet de deuxième marque sportive.
Les marques françaises ne sont pas les seules à renaître. À l’automne 2024, l’italien Bertone a dévoilé le Runabout, un nouveau modèle exclusif qui rend hommage au concept emblématique Autobianchi A112 Runabout présenté au salon de Turin en 1969. Ce véhicule marque le lancement de la ligne Bertone Classic, dédiée aux réinterprétations modernes des chefs-d’œuvre historiques de la marque. Le nouveau Runabout allie style néo-rétro et performances contemporaines grâce à un moteur V6 de 500 chevaux, une nette évolution par rapport à l’original de 1969, qui ne développait que 55 ch. Pensé comme une voiture légère et agile, le modèle est conçu pour deux passagers dans un habitacle exclusif, avec un accès latéral absent de la version d’époque. Deux versions sont proposées : une Barchetta pour une conduite en plein air sans toit, et une Targa avec toit amovible, toutes deux fidèles à l’esprit de liberté et de plaisir de conduite du modèle d’origine. Limitée à une production restreinte, cette série met en avant le savoir-faire artisanal de Bertone. Pour Andrea Mocellin, responsable du design, ce modèle incarne « le plaisir de conduire et la joie de vivre à l’italienne ».
Certaines voix s’élèvent contre le principe des recréations modernes, arguant qu’elles dénaturent l’authenticité historique. D’autres y voient une opportunité unique de préserver et faire revivre un patrimoine mécanique qui, sans cela, pourrait sombrer dans l’oubli.
Les Nouveaux Artisans du Vintage
Parce qu’elles aiment les voitures d’époque et sont inspirées sans doute de cette nostalgie d’antan, certaines marques créent et inventent des modèles vintages du XXIe siècle.
C’est le cas de Patak Motors, entreprise slovaque dont l’objectif est de concevoir une voiture adaptée aux besoins des citadins et qui transforme en aventure toutes les activités quotidiennes telles que les déplacements, les courses ou la dépose des enfants à l’école. Une voiture respectueuse de la communauté et de l’environnement et qui reprend le style classique gentleman driver.
C’est ainsi que la microcar roadster se veut à la fois attrayante, compacte, adaptée à la ville, pratique et amusante, le tout enveloppé dans un design intemporel.
Dans le même registre, Pantore, fondée en 2021 par le designer franco-marocain Hakim Ouabbi, s’est spécialisée dans la création de voitures sportives en séries limitées. Pantore explore des technologies écologiques et avant-gardistes, telles que les moteurs à combustion hydrogène, l’efficience aérodynamique et l’utilisation de matériaux composites recyclés et recyclables. L’entreprise incarne une vision mêlant performance, plaisir de conduite et raffinement, tout en s’inscrivant dans les enjeux environnementaux actuels et futurs.
Le renouveau des supercars vintage reflète une volonté de réconcilier le passé et le futur, de perpétuer un héritage tout en intégrant les évolutions technologiques modernes. Ce mouvement s’impose comme une véritable tendance de fond, soutenue par une clientèle exigeante, passionnée d’histoire automobile mais également attentive à l’innovation.
Que ce soit à travers les recréations fidèles des grands noms de l’automobile, les initiatives audacieuses de nouveaux créateurs ou les programmes de certification et de restauration, l’industrie automobile vintage vit une seconde jeunesse, plus brillante et plus précieuse que jamais.
Le passé n’a jamais été aussi présent sur la route du futur.
Corinne Bedrossian
