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Le Grand Rex célèbre ses 90 ans !

Le Grand Rex célèbre ses 90 ans !

Fondé par Jacques Haïk et inauguré en 1932, le Grand Rex s’est immédiatement distingué par ses performances, ses innovations techniques, son architecture aux influences multiples Art Déco et ses salles dites « atmosphériques » datant des cinémas américains des années 20. Des caractéristiques qui lui ont permis de résister à l’épreuve du temps. Retour sur 90 ans de vie dans ce lieu fabuleux du paysage culturel parisien.

Malgré des refontes majeures tout au long de son histoire, mais sans toucher à la salle, le Grand Rex retrouve aujourd’hui son aspect d’origine et demeure le témoignage le plus emblématique de l’essor architectural des cinéma français entre les deux guerres mondiales.

Contexte historique

Le 28 décembre 1895 est considéré comme la naissance du cinéma, avec la première projection payant et publique du film La sortie des usines Lumière à Lyon des frères Lumière au Salon Indien, situé au sous-sol du Grand Café au numéro 14 du boulevard Capucines à Paris. Depuis, la projection d’images muettes s’est multipliée dans l’ambiance feutrée des petits salons de la capitale.

A partir de 1896, plusieurs lieux, comme le Théâtre Robert-Hudin ou le Musée Grévin, sont ensuite rejoints par les premières salles permanentes, comme le Théâtre Cinématographique Pathé, faisant des Grands Boulevards un centre de diffusion de ce nouvel art.

A l’époque, ces lieux ne suivaient aucun code de construction particulier, empruntant des éléments décoratifs au monde des théâtres, des salles de concert et de music-hall. La fin de la Première Guerre mondiale marque l’apogée du cinéma muet et le développement de salles richement décorées et souvent thématisées, basées souvent sur l’Antiquité. Leur inspiration architecturale est variée, tantôt néoclassique, tantôt Art nouveau, comme le Cinéma Bal (1919) d’Auguste Bluysen, l’un des architectes du futur Grand Rex. Le Louxor (1921), conçu par l’architecte Henri Zipcy, apparaît comme un précurseur du style Art déco qui va bouleverser l’architecture mondiale à la fin des années 1920.

L’arrivée des cinémas sonores et sonores en 1926 voit la construction, l’agrandissement et la rénovation de plusieurs cinémas parisiens. L’Art Déco prend de l’ampleur, tout comme les immeubles modernes, avant-gardistes et fonctionnels construits autour de Robert Mallet-Stevens, Jean Prouvé, Charlotte Perriand ou le jeune Le Corbusier. À l’époque, l’architecte August Bluysen a conçu plusieurs cinémas, comme le Théâtre Paramount, qui représentait une synthèse entre de multiples inspirations avec la rotonde d’angle néoclassique et de la salle Art Déco. Considérée par de nombreux observateurs comme la première salle moderne de Paris, elle influencera une série de réalisations ultérieures.

Le Palais Gaumont est une salle de spectacle au style historiciste construite en 1900, transformée en cinéma en 1910, et rénovée en 1930 sous la direction de l’architecte Henry Belloc. Le bâtiment est devenu la plus grande salle de cinéma du monde (6 000 places) et un véritable manifeste Art Déco, avec son architecture raffinée de volumes simples supportant l’émergence d’éclairages artificiels. Sa taille extraordinaire et sa situation à l’angle de deux rues en ont fait l’une des réalisations les plus iconiques de l’époque jusqu’à sa destruction en 1973.

La naissance du Grand Rex

Pendant les « Années Folles », le cinéma prospère. C’est dans ce contexte que l’ancien distributeur de Charlot, Jacques Haïk, une société importatrice de films américains, mais également fondateur des Etablissements Jacques Haïk, propriétaire du Colisée et de l’Olympia, décide de créer le cinéma le plus grand et innovant d’Europe à Paris.

Il acquiert un terrain à l’angle de la rue et du boulevard Poissonnière, et s’inspire des salles de cinéma américaines et du style Art déco qui prévaut alors dans les grandes capitales pour définir un cahier des charges original et ambitieux. Pour y parvenir, il fait appel aux architectes Auguste Bluysen et John Eberson.

Le Français Auguste Bluysen a été l’architecte du ministère des Colonies puis du ministère des Postes, Télégraphes et Téléphones, du pavillon LU de l’Exposition universelle de 1900 et des deux tours de la Biscuiterie construites à Nantes en 1909. Il s’est rapidement illustré dans le monde de l’architecture des loisirs en tant que concepteur de plusieurs casinos et salles de cinéma, dont le Bal (1919) et Théâtre Paramount (1927). Son style a progressivement évolué de l’Art Nouveau tardif au style Art Déco épuré.

L’architecte américain John Eberson, formé à Vienne, a conçu des centaines de bâtiments aux États-Unis, dont des théâtres, comme le Jewel à Hamilton (1909), l’Austin Majesty (1916) et le Dallas Majesty (1917). Il développe le concept des salles dites « atmosphériques », renouant avec l’atmosphère de lieux fantasmés aux influences multiples, à travers la décoration architecturale et la création d’une voûte céleste. Le Majestic Theatre de Houston (1923) en est son premier exemple. La réputation du bâtiment outre-Atlantique est considérée comme l’acte de naissance de la véritable école d’architecture cinématographique américaine. Réputé Outre-Atlantique, l’édifice signe l’acte de naissante d’une vraie école de l’architecture de salles de cinéma aux Etats-Unis.

L’apport de John Eberson dans la réalisation du Grand Rex est visible dans la salle, avec l’utilisation massive du métal et de l’habillage en ciment et béton, ou dans la rue avec l’utilisation d’un grand panneau vertical et perpendiculaire à la façade, ce qui était peu courant à Paris mais déjà très répandu aux États-Unis.

Jacques Haïk a également fait appel au décorateur Maurice Dufrène pour créer les lieux intérieurs autour de la salle et au sculpteur et verrier Henri-Édouard Navarre. Ce dernier a conçu les vitrages intérieurs et extérieurs ainsi que les nombreux éléments décoratifs en bas-relief qui ornent le Grand Rex. Ensemble, ces professionnels aux parcours divers créent une œuvre composite unique pour l’époque, avec une architecture extérieure largement dépouillée contrastant avec la richesse de la décoration intérieure.

Après quelque 20 mois de travaux, le Grand Rex ouvre le 8 décembre 1932. Les 3 300 spectateurs invités au vernissage ont assisté à une performance et, en présence de Louis Lumière comme invité d’honneur, ont visionné le film d’Henri Diamant-Berger, Les Trois Mousquetaires. Malgré une certaine controverse, les critiques ont adoré le nouveau lieu car il a séduit le public avec son ambiance et son décor chaleureux et lumineux.

Un vrai patrimoine

Le Grand Rex est constitué d’une tour d’angle haute de 36 mètres qui marque l’entrée et signale l’édifice. Il comprend également un grand espace qui abrite la salle principale, les foyers et la salle de projection, un espace vertical contenant l’escalier et deux parallélépipèdes. Perpendiculaire au faubourg, le premier abrite la scène et les bureaux, tandis que le second posé sur la grande salle, abrite le reste des bureaux. Chaque volume a sa propre expression pour mieux comprendre les différentes fonctions. La grande salle est quasiment carrée et occupe presque tout l’espace de la parcelle. Intérieurement, elle comprend un orchestre de 1 300 places sur trois étages, une mezzanine de 600 places au premier étage et 1 600 places au second balcon de l’amphithéâtre.

Le Grand Rex offre une énorme différence entre l’intérieur et l’extérieur, relativement atypique à l’époque. Il reprend cependant certaines caractéristiques d’autres édifices contemporains, comme le Palais Gaumont, notamment sa silhouette de paquebot à l’angle de deux rues, et sa face aveugle massive a été conçue à l’origine pour l’installation de publicités lumineuses. Si ce langage naval illustre l’évolution d’August Bluysen vers le modernisme d’avant-garde, l’architecte s’est également inspiré de références plus classiques, notamment la tour d’angle, la façade symétrique à la rue, les échauguettes ou les six fenêtres fuyantes rappelant les édifices médiévaux.

Le bâtiment se distingue également par ses nombreuses innovations techniques, très avant-gardistes. Par exemple, la cabine de projection est équipée de trois projecteurs à la pointe de la technologie, la fosse d’orchestre a une scène mobile pour l’agrandir et le rideau se compose de huit chutes qui peuvent être levés et abaissés indépendamment, et l’écran s’affiche dans toutes les dimensions instantanément. La sonorisation est dissimulée dans les habillages latéraux, le système de climatisation rafraîchit les espaces, et des installations électriques de pointe alimentent de nombreux appareils techniques.

Sur le plan décoratif, la grande salle d’atmosphère est l’une des rares existant en France. Le dôme céleste et le ciel sont créés sur une tôle d’acier suspendue à un cadre métallique au-dessus du sol, et les étoiles scintillantes et les planètes brillantes sont constituées de billes de cristal perforées derrière lesquelles il y a des réflecteurs. L’ensemble est complété par des projecteurs photographiques faisant défiler les nuages. Les finitions intérieures combinent l’utilisation de briques creuses, de staff et de plâtre, tandis que des dalles de béton composent les sols. Le vestibule d’entrée, conçu par Maurice Dufrène, est décoré de marbre vert antique, et deux escaliers aux balustrades en métal chromé mènent aux différents salons. Le foyer confortable est également fini en marbre vert et surplombé par un plafond en caoutchouc gris foncé décoré de signes du zodiaque. A son ouverture, le Grand Rex comprenait une infirmerie, une pouponnière, un commissariat permanent et même un chenil.

Le Grand Rex a subi de nombreuses rénovations tout au long de ses 90 ans d’histoire. Ceux-ci reflètent les tendances de la mode des différentes époques. Au fil du temps, ces évolutions ont préservé la lecture de l’œuvre originale. Dans les années 1950 et 1960, ces développements se sont particulièrement concentrés sur l’éclairage. Les néons ont remplacé de nombreuses ampoules et l’enseigne lumineuse rotative a disparu du haut de la tour. À partir de 1957, un escalator a remplacé celui d’origine pour se rendre au foyer de la mezzanine, et la grande marquise au-dessus des portes est enlevée.

Le projet de 1971 de l’architecte Artémisios Wang a été le changement le plus radical apporté à l’extérieur du Grand Rex, supprimant de nombreux éléments Art déco de 1932. Le béton peint, les plinthes en marbre et les impostes brillants cèdent la place à un revêtement en pierre plus traditionnel sans grand rapport avec l’architecture d’origine. Quant à l’entrée, elle a été entièrement rénovée, avec une dalle de granit rose édifiée au sol et une coupole en staff, supprimant les décorations d’époque.

1974 marque un autre tournant dans l’histoire de l’institution, lorsque trois petites salles s’ouvrent à la place des loges, ainsi que la discothèque Rex Club vient en remplacement du dancing select Le Rêve, sous le bâtiment principal. C’est également à cette époque que la couleur rouge iconique du lieu entre en jeu, et une nouvelle marquise installée et des bandeaux horizontaux sont installés placer des lettres mobiles. Trois nouvelles salles sont créées en 1984 et quelques années plus tard dans la salle principale, est installé ce qui reste pendant plus de 25 ans, le plus grand écran (260 m²) de France, le Grand Large.

Le dernier changement majeur a eu lieu en 2010, lorsque la majeure partie des supports d’affiches a été retirée du plein de travée sous la marquise pour faire place à trois grandes bandeaux de LED électroniques. Les huisseries de la tour ont été repeintes en rouge et encadrées par deux écrans électroniques verticaux géants.

Le Grand Rex est de retour et fête ses 90 ans !

André Tirlet