Dans la ville vibrante de Casablanca, les effluves d’épices et les valeurs de la haute gastronomie française se sont entremêlés durant trois jours intenses de célébration et de transmission. À l’occasion du cinquième chapitre des Disciples Escoffier Maroc, le thème choisi, « La route des saveurs », s’est imposé comme une évidence. Portuaire et cosmopolite, la métropole marocaine devient un carrefour d’influences culinaires, où traditions locales et ambitions internationales dialoguent sans heurt.
Entre banquets solennels, balades gourmandes et échanges inspirants, ce 5ème chapitre à Casablanca n’a pas seulement mis en lumière des produits d’exception ou des chefs reconnus : il a donné corps à une vision, un élan, presque une renaissance culinaire. Une ode à l’hospitalité marocaine, au partage sincère, à l’ouverture aux autres cultures, dans l’esprit humaniste et exigeant d’Auguste Escoffier.
La gastronomie marocaine face au miroir de son futur
Moment fort de cette édition, une table ronde au ton juste, orchestrée par le journaliste culinaire Guillaume Erblang, a rassemblé figures de la gastronomie, experts du tourisme et chefs de renom autour d’une question brûlante :
Comment inscrire durablement la cuisine marocaine sur la scène mondiale ?
Guillaume Gomez, ancien chef de l’Élysée et aujourd’hui ambassadeur de la gastronomie française, livre un constat lucide :
« Le Maroc a un trésor culinaire immense, mais il lui manque une stratégie structurée. »
Hamid Bentaher, expert du tourisme de luxe, souligne un paradoxe criant :
« C’est une cuisine présente dans tous les foyers, mais encore trop absente des radars professionnels. »
Noëlle Bouayad, cheffe et consultante, prône une approche vivante et contemporaine :
« Il faut cesser de la figer dans le folklore. Transmettre, oui, mais aussi faire évoluer. »
De son côté, Éric Briffard, chef exécutif au Cordon Bleu Paris, milite pour une codification rigoureuse, à la manière d’une langue : claire, structurée, enseignable.
Enfin, Fouzia Eddassouki, cheffe et entrepreneure installée à Paris, rappelle que :« Sans récit, pas de rayonnement. La cuisine marocaine doit savoir se raconter pour exister. »
Une conclusion s’impose : pour briller à l’international, la gastronomie marocaine doit devenir lisible, désirable, et surtout portée collectivement.

Une immersion sensorielle au cœur de Casablanca
Le programme a mis à l’honneur les richesses gastronomiques et culturelles du Maroc : un dîner mémorable à Dar El Kaid, dans la Médina de Bab Marrakech, bercé par les notes envoûtantes de musiques traditionnelles ; une immersion au Marché Central, royaume des fruits de mer ; ou encore la découverte de l’imposante Mosquée Hassan II, chef-d’œuvre d’architecture et symbole d’un Maroc tourné vers l’avenir.
Plus qu’une célébration, ce chapitre a été un acte fort de solidarité. À Taroudant, l’association Maison Bonheur, fondée par Patricia Frangioni, œuvre pour la réinsertion des jeunes en situation de précarité. Soutenue par les Disciples Escoffier Maroc, cette structure offre à des apprentis l’occasion de se former par la cuisine, de se reconstruire par le collectif et de rêver plus grand.
Point d’orgue du chapitre : un dîner de gala solidaire, élaboré main dans la main par de jeunes formés à Maison Bonheur et des chefs reconnus. Un moment d’émotion et de transmission, fidèle aux valeurs d’Escoffier.
Sous l’impulsion du chef Lahcen Hafid, président de la délégation marocaine des Disciples Escoffier depuis 2019, la scène culinaire locale prend une nouvelle ampleur. Formé au Ritz Paris, ce chef allie exigence française et profondeur marocaine. À Casablanca, il a intronisé de nouveaux disciples, parmi lesquels Ahmed Bensemlali, Rah, et Yassine Bogdad, finaliste du Bocuse d’Or 2025. Une relève prometteuse, bien ancrée dans son terroir et résolument tournée vers le monde.

Auguste Escoffier : le visionnaire de la cuisine moderne
Né en 1846, Auguste Escoffier est l’un des pères fondateurs de la gastronomie contemporaine. Il structure la brigade de cuisine, impose une discipline rigoureuse, défend le respect des produits et bannit les fioritures superflues du XIXe siècle.
Sa philosophie ? Une cuisine comme langage universel, outil de transmission et levier d’élévation sociale.
Son œuvre phare, Le Guide Culinaire (1903), recense plus de 5 000 recettes et pose les fondements de la cuisine professionnelle moderne. Toujours étudié aujourd’hui, il fait d’Escoffier un maître intemporel, à la fois technicien, éducateur et humaniste.

Escoffier Maroc : une communauté engagée autour d’un idéal commun
L’appartenance à la confrérie des Disciples Escoffier se matérialise par une écharpe colorée, reflet de la diversité des métiers : rouge pour les cuisiniers, verte pour les producteurs, lie-de-vin pour le service, orange pour les jeunes talents, bleue pour les ambassadeurs.
De Tanger à Rabat, en passant par Marrakech et Agadir, la délégation marocaine œuvre à codifier, transmettre et valoriser la gastronomie du Royaume. En rendant hommage aux terroirs, en soutenant les jeunes et en tissant des ponts entre tradition et innovation, elle fait plus que cuisiner : elle construit un avenir.
À Casablanca, la cuisine marocaine s’est racontée avec sincérité, ambition et fierté. Elle a pris conscience de ses forces, de ses lacunes, et surtout de son immense potentiel. Mais comme le résume si bien un proverbe africain cité lors de la cérémonie de clôture :
« Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. »
Et c’est ensemble, unis par l’esprit d’Escoffier, que les chefs marocains entendent faire rayonner leurs saveurs sur la scène du monde.
Patrick Koune