Parmi les symboles les plus emblématiques de la gastronomie japonaise, le sushi occupe une place de choix. Élégant, épuré, complexe dans sa simplicité, il est aujourd’hui un mets mondialement apprécié, transcendant les frontières et les cultures.
Mais derrière chaque bouchée de nigiri ou rouleau de maki se cache une histoire millénaire et le fruit d’une formation exigeante, digne des plus grands arts culinaires.

Des racines ancestrales
L’histoire du sushi commence bien loin des comptoirs de Tokyo. Ses origines remontent au IIIe siècle en Asie du Sud-Est, où une méthode de conservation du poisson dans du riz fermenté, appelée narezushi, voit le jour. Cette technique se répand au Japon au VIIIe siècle. À l’époque, seul le poisson était consommé, le riz étant jeté après fermentation.
Ce n’est qu’au XVe siècle que le namanarezushi fait son apparition : une version où riz et poisson sont tous deux consommés, le processus de fermentation étant écourté. Puis, au XVIIIe siècle, Edo (l’actuelle Tokyo) voit naître le hayazushi, ancêtre direct du sushi moderne, dans lequel le poisson frais est accompagné de riz vinaigré pour une consommation immédiate. Cette innovation répond à l’urbanisation galopante et à la recherche de repas rapides, et marque le début du sushi tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Le sushi à l’ère contemporaine
Au XXe siècle, avec la mondialisation et l’engouement pour la cuisine japonaise, le sushi conquiert l’Occident. Il se réinvente, se diversifie : rolls californiens, sushi bowls, versions végétariennes… Autant de déclinaisons parfois loin des traditions nippones, mais témoins de son incroyable adaptabilité.
Cependant, au Japon, le sushi traditionnel — en particulier le edomae-zushi, préparé avec du poisson local et servi sur du riz assaisonné — reste un art codifié. C’est dans ce respect du geste, de la saisonnalité et de l’harmonie que s’exprime toute la finesse du métier de maître sushi.

La voie du shokunin : devenir maître sushi
Être maître sushi, ou itamae, ne s’improvise pas. Il s’agit d’un parcours rigoureux qui commence souvent par plusieurs années d’apprentissage en tant qu’apprenti (shokunin minarai). Dans les premières années, le futur chef n’a même pas accès au poisson. Il apprend à nettoyer les ustensiles, à préparer le riz à la perfection, à observer, répéter et assimiler.
Ce n’est qu’après avoir prouvé son engagement et sa compréhension des bases qu’il peut toucher au poisson, apprendre les coupes, la conservation, l’assaisonnement. Chaque étape est un rite de passage. La patience, la précision et l’humilité sont les piliers de cette formation, qui peut durer jusqu’à une décennie avant de pouvoir se tenir derrière le comptoir en tant qu’itamae.
Mais au-delà de la technique, c’est une philosophie qui se transmet : respect des ingrédients, connexion au client, quête perpétuelle de perfection dans la simplicité.
L’équilibre entre tradition et innovation
Aujourd’hui, certains maîtres sushi expérimentent des mariages inédits, introduisent des poissons locaux en dehors du Japon, ou collaborent avec des chefs étrangers. La tradition n’est pas figée : elle vit, s’adapte, mais conserve un cœur intact.
Dans l’univers de la haute gastronomie japonaise, le raffinement s’exprime souvent dans la discrétion, la pureté du geste et la noblesse des ingrédients. Mais parfois, la perfection atteint un tel niveau qu’elle devient un objet de fascination mondiale. C’est le cas du « Kiwami Omakase », le sushi le plus cher du monde, couronné par le Guinness World Records en 2023, et servi dans un restaurant exclusif à Osaka, Sushi Kirimon.
Une expérience de dégustation à 350 000 yens
Le prix du menu « Kiwami Omakase » s’élève à 350 000 yens japonais, soit environ 2 475 dollars américains. Mais il ne s’agit pas simplement d’un repas : c’est une cérémonie, un voyage sensoriel à travers l’excellence des produits de la mer et la maîtrise de la tradition japonaise.
Ce menu d’exception se compose de 20 pièces de sushi, chacune représentant un sommet de technique, de goût et de rareté. Le mot omakase, signifiant « je m’en remets au chef », prend ici tout son sens : le convive s’abandonne à la vision culinaire d’un grand maître, dans un échange quasi spirituel.

Des ingrédients rares et précieux
Le sushi atteint des sommets grâce à une sélection d’ingrédients d’une rareté inouïe :
Thon rouge du Pacifique, dans ses trois découpes emblématiques : otoro (ventre gras), chutoro (mi-gras), et akami (partie maigre).
Caviar de béluga, apportant une profondeur iodée inégalée.
Oursin violet (murasaki uni) et oursin vert (bafun uni), reconnus pour leur texture fondante et leur goût subtil.
Queue de baleine Sei, une chair interdite à l’import dans de nombreux pays, rare même au Japon.
Crabe poilu, crevettes tigrées, anguille de mer et congre — chacun préparé selon des méthodes ancestrales, parfois avec fermentation ou fumage délicat.
Truffe noire, abalone vapeur, oboro, et shinko (jeune alose d’été), ingrédient saisonnier hautement recherché.
Chaque pièce est posée sur un riz élaboré à partir de variétés nobles d’Akita et Yamagata, assaisonné avec des vinaigres vieillis, dans le respect du style edomae. Des feuilles d’or comestibles viennent parfaire cette œuvre d’art éphémère.
Ce menu est bien plus qu’un luxe ostentatoire : il incarne la quintessence de la cuisine washoku, patrimoine culturel immatériel de l’humanité selon l’UNESCO. Le respect de la saison, l’équilibre des textures, l’esthétique de la présentation, la chaleur du service personnalisé — tout concourt à faire du « Kiwami Omakase » une célébration de l’hospitalité japonaise.
Un record qui fascine
Le Guinness World Records a officiellement reconnu le « Kiwami Omakase » comme le sushi le plus cher du monde le 25 juillet 2023. Ce record détrône une précédente création de luxe signée Angelito Araneta Jr., un chef philippin qui avait en 2010 imaginé des nigiris sertis de diamants et enveloppés de feuilles d’or 24 carats.
Mais à la différence de ces sushis « bijoux », le « Kiwami Omakase » se distingue par la sincérité de sa démarche : ici, le prix ne paie pas l’apparence, mais le contenu, le geste, le silence, l’instant. Le sushi le plus cher du monde n’est pas une démonstration de richesse, mais un hommage à la nature, au temps et à l’humilité de l’art culinaire japonais. Une bouchée de beauté… à savourer avec révérence.
Dans un monde où la vitesse domine, le sushi reste une ode à la lenteur maîtrisée, à la beauté du détail. Qu’il soit dégusté dans une échoppe de rue à Osaka ou dans un restaurant étoilé à Paris, le sushi nous rappelle que la perfection peut tenir dans une bouchée, et que le savoir-faire d’un maître sushi requiert une vie de dévouement.
Ema Lynnx