Philippe Cramer a choisi les jardins méditerranéens du prestigieux Château Saint-Martin & Spa à Vence pour exposer, jusqu’au 12 octobre 2025, sa toute première exposition personnelle en France. Trois sculptures monumentales y sont installées en harmonie avec l’architecture et le paysage : Aeternus Eternus III, Totemic et Apukalupsis.
Ces œuvres prolongent les explorations de l’artiste autour de la forme archétypale, du sacre et de l’émotion. Aeternus Eternus III, en marbre Branco Estremoz, évoque la boucle perpétuelle de la vie ; Totemic, totem en granit Noir Zimbabwe, s’érige comme un seuil symbolique ; tandis que Apukalupsis, en aluminium laqué et feuille d’or, interroge la relation entre création humaine et forces naturelles. Ces sculptures s’offrent comme des présences silencieuses incitant à la contemplation et au ralentissement

Aeternus Eternus III (2025)
Réalisée en marbre Branco Estremoz, Aeternus Eternus III prend la forme d’une assise sculpturale en boucle, incarnation silencieuse de l’éternel retour. Inspirée des cosmologies antiques, et notamment de la pensée égyptienne autour du cycle vie-mort-renaissance, cette œuvre invite le visiteur à s’asseoir, à faire corps avec la matière, et à entrer dans un dialogue intime avec le temps. La boucle — tantôt tournée vers la gauche, tantôt vers la droite selon les éditions — devient symbole d’équilibre cosmique, lieu de repos et de méditation. L’œuvre transforme la fonction en rite, l’assise en seuil vers une conscience plus vaste.

Aeternus Eternus : Totemic (2025)
Érigé en granit Noir Zimbabwe, Totemic s’élève tel un repère spirituel dans l’espace naturel du jardin. Sa forme en boucle ascendante évoque un mouvement d’élévation, de transformation continue. Philippe Cramer y condense la tension entre la stabilité du minéral et la fluidité du devenir : cette sculpture est à la fois monument et mouvement. Elle agit comme un totem contemporain reliant l’intime à l’universel, le tangible au sacré. La surface brute du granit renforce le contraste entre permanence et passage, donnant corps à une expérience sensorielle du temps qui passe et se répète.

Apukalupsis (2024)
Avec Apukalupsis, Philippe Cramer explore la puissance des formes primordiales — sphère, œuf, haricot — dans une sculpture monumentale en aluminium laqué, couronnée d’une feuille d’or lumineuse. Cette pièce interroge la vulnérabilité de l’humanité face aux forces naturelles, tout en rendant hommage au soleil comme source de vie et symbole transculturel. L’or, à la fois solaire et spirituel, agit comme révélateur d’un équilibre précaire entre création, destruction et renaissance. Apukalupsis — qui signifie “révélation” en grec ancien — convoque l’imaginaire apocalyptique non pas comme fin, mais comme dévoilement du sens profond. Une œuvre à la fois mystique et charnelle, vibrante de tensions silencieuses.
Philippe Cramer : l’art comme rituel sensoriel et sacré
Philippe Cramer est un créateur entre design et art, traçant avec élégance sa route dans l’univers contemporain. Né à New York en 1970 et élevé à Genève, il forge une identité artistique hybride incarnée dans chacun de ses objets à la fois utilitaires et poétiques. Son langage plastique se construit autour de l’émotion, du sacralisé, et d’une recherche constante de la beauté intemporelle.
Diplômé en histoire des arts décoratifs puis de Parsons à New York, Philippe Cramer débute dans le design de mobilier pour des marques internationales avant de fonder son propre studio, Cramer + Cramer, en 2001 à Genève. Au fil du temps, son approche dépasse les fonctions utilitaires pour s’ancrer dans une démarche artistique, entre sculpture, luminaire et installation. Ses lampes Randogne, initialement objets fonctionnels, deviennent peu à peu des sculptures lumineuses aux dimensions spirituelles.

Atelier-laboratoire : la main au cœur du geste
Dans son studio de la rue de la Muse à Genève, Cramer travaille main dans la main avec une vingtaine d’artisans suisses : ébénistes, verriers, doreurs, graveurs… Chaque pièce est le fruit d’un savoir-faire traditionnel marié à une vision contemporaine. Fidèle à l’esprit du slow design, il conçoit des objets durables, enracinés dans leur territoire, jusque dans leur nom, souvent inspiré de lieux suisses.
Une actualité lumineuse : Oculus Mirabilis II
Présentée pour la première fois lors de la biennale Révélations à Paris en mai 2025, Oculus Mirabilis II marque une nouvelle étape dans la recherche artistique de Philippe Cramer. Cette sculpture lumineuse, conçue autour du rythme circadien, prolonge le travail amorcé avec Oculus Mirabilis I (2021). Inspirée par les cycles naturels, les mythologies anciennes et la figure de l’ouroboros, l’œuvre traduit les états affectifs humains à travers des variations de couleurs progressives sur 24 heures.
Fabriquée à la main en plâtre patiné grâce au savoir-faire des Ateliers de Moulage du GrandPalaisRmn, cette sculpture coéditée avec La Maison allie artisanat patrimonial et technologie contemporaine. Exposée sur le stand des Ateliers GrandPalaisRmn, elle a permis à de nombreux visiteurs d’expérimenter ses métamorphoses lumineuses dans une atmosphère contemplative.

Une vision artistique héritée et singulière
Petit-fils et neveu de figures liées à l’avant-garde européenne, Philippe Cramer inscrit son travail dans une filière artistique riche. Son oncle, Gérald Cramer, éditeur de Picasso, Miró ou Chagall, et sa grand-mère, proche de Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle, nourrissent une tradition de dialogues entre formes et rêves. Influencé par l’Antiquité, l’art moderne, la nature, Cramer crée des œuvres fusionnant lignes organiques, géométries subtiles et matériaux nobles (bois, pierre, or).
Son esthétique, parfois qualifiée de « minimalisme sensuel », se distingue par un équilibre entre puissance symbolique, sensualité tactile et silence mystique. Il explore la façon dont la forme et la matière peuvent transcender le langage, rendant hommage au geste artisanal tout en s’ancrant dans une réflexion contemporaine sur le sens et l’objet.
Présent dans les collections publiques (MAH Genève, Musée Ariana, MUDAC), exposé à artgenève, au Kiscelli Museum (Budapest) ou encore à la Galerie Bensimon (Paris), Philippe Cramer construit un univers cohérent et profond. Il nous rappelle que l’objet peut devenir œuvre, que le geste peut être rituel, et que la lumière elle-même peut exprimer l’invisible.
Pour le découvrir, direction Genève au studio Cramer + Cramer, rue de la Muse ou le Cramerverse, sa galerie virtuelle qui prolonge l’expérience sensorielle au-delà du monde tangible.
Ema Lynnx