Cet été, le Palais Royal ne se contente pas d’être un joyau du patrimoine parisien. Il devient le théâtre d’une expérience sensorielle inédite où l’histoire rencontre l’imaginaire futuriste. Sous les voûtes de la Galerie Montpensier, la galerie new-yorkaise Friedman Benda invite le designer américain Misha Kahn à poser son regard décalé sur le monde, à travers Rien à voir, sa toute première exposition parisienne.
Une exposition qui fait basculer le visiteur dans un univers parallèle, oscillant entre design et poésie féerique , entre artisanat et imagination.
Rien à voir : une expositions sensorielle dans le cosmos des œuvres
Avec Rien à voir, Misha Kahn signe un manifeste joyeux contre les évidences visuelles. Dès le titre, il annonce la couleur : ici, il ne s’agit pas de “voir” au sens classique, mais d’expérimenter, de ressentir, de percevoir autrement.
Kahn propose une traversée sensorielle où chaque œuvre déjoue les attentes. Le spectateur est invité à se perdre dans les reflets, à toucher les matières, à explorer les volumes comme on explorerait une planète inconnue. Rien à voir, donc, avec le design conventionnel, qui cherche souvent la pureté de la ligne et la clarté de la fonction.
Azimuth : le miroir d’un voyage intérieur
Au cœur du parcours, l’installation monumentale Azimuth s’impose d’emblée comme le pivot sensoriel de l’exposition. Constituée de miroirs aux reflets kaléidoscopiques, elle plonge le visiteur dans un espace mouvant, presque instable, où les trajectoires célestes deviennent prétexte à l’introspection. Inspiré des méthodes anciennes de calcul astronomique, ce dispositif transforme l’observateur en voyageur cosmique, suspendu entre réalité et illusion.
“Comme si l’œuvre reflétait notre désir profond de nous confronter à notre propre abîme.”
Ici, les miroirs fragmentent la lumière, déforment les perspectives et transforment l’espace en kaléidoscope géant. Le visiteur devient astronaute de sa propre psyché, confronté à des reflets multiples, à des trajectoires stellaires imaginaires.
Dans cette traversée miroitante, les frontières entre intérieur et extérieur, entre soi et le monde, s’effacent doucement, laissant place à un champ d’expérimentation perceptive.

Objets hybrides et expérimentations joyeuses
Autour de cette installation centrale gravitent des œuvres inédites en France, où le mobilier devient sculpture, et la fonction prétexte au jeu.
• Le fauteuil Double Shuck Pea (2023), avec ses courbes organiques et ses textures généreuses, évoque autant un coquillage géant qu’une créature étrange échappée d’un rêve.
• Les tables d’appoint A Case of the Tofu Coated Wires (2023) et Beach Based (2024), aux noms délicieusement absurdes, mêlent bois, cuivre et verre dans une alchimie où chaque matériau dialogue avec l’autre.
• Une série de luminaires oniriques complète cet ensemble, affirmant la maîtrise technique et la liberté esthétique de l’artiste.
Chaque pièce est pensée comme un organisme vivant, plus que comme un simple meuble. Les formes semblent vibrer, hésiter entre créature marine et artefact cosmique. L’exposition devient ainsi une invitation à l’introspection ludique, une balade sensorielle dans un monde où la matière prend vie.
Misha Kahn : le design comme terrain de jeu et d’aventure
Né en 1989 à Duluth, petite ville du Minnesota bordée de lacs et de forêts, Misha Kahn grandit loin des grandes métropoles du design. Formé à la Rhode Island School of Design, il s’écarte rapidement des dogmes minimalistes qui dominent alors la scène internationale.
Chez lui, pas de lignes pures ou de surfaces lisses, mais un goût affirmé pour le bricolage, le détournement, l’excès. Ses œuvres sont des assemblages hybrides où cohabitent techniques artisanales ancestrales, objets trouvés et outils numériques comme l’impression 3D ou la réalité virtuelle.
Dans son travail, le maximalisme devient manifeste. L’exubérance formelle, loin d’être gratuite, ouvre des portes vers des mondes imaginaires où le fonctionnel flirte avec le fantasque : mobilier végétalisé, lustres gonflables en vinyle, canapés chimériques mêlant laine, inox et résine.
Un parcours international, des collaborations locales
Très vite repéré par la scène internationale, Kahn expose de New York à Séoul, en passant par Milan et Tokyo. Ses œuvres intègrent les collections du Los Angeles County Museum of Art (LACMA), du Corning Museum of Glass et du Dallas Museum of Art, des institutions majeures du design et de l’art contemporain.
En 2022, son exposition Under the Wobble Moon au Museum Villa Stuck de Munich marque un tournant : Kahn n’est plus seulement un créateur exubérant, il devient un artiste conceptuel, capable d’explorer les failles de notre époque à travers des formes extravagantes.
Sa démarche artistique se nourrit aussi de collaborations avec des artisans du monde entier.
En Eswatini, il travaille avec des tisserandes locales pour la série Scrappy Series ;
à Brooklyn, il collabore avec des souffleurs de verre ;
au Mexique, avec des sculpteurs de métal et de pierre.
Ce dialogue constant entre savoir-faire traditionnel et innovation technologique donne naissance à des pièces profondément humaines, où le geste artisanal rencontre les promesses du numérique.
Friedman Benda, défenseur du design radical
Depuis sa création en 2007, la galerie Friedman Benda s’est imposée comme l’une des plateformes incontournables du design contemporain. Défendant des créateurs qui bousculent les frontières entre art et fonction, entre sculpture et mobilier, elle a révélé des figures majeures comme Wendell Castle, Joris Laarman ou Faye Toogood.
À Paris, c’est tout naturellement qu’elle investit la Galerie Montpensier du Palais Royal, offrant un écrin patrimonial aux expérimentations plastiques de Kahn. Un dialogue subtil s’établit alors entre l’architecture classique du lieu et les formes débridées du designer, entre passé et futur.
Une invitation à explorer d’autres réalités
“Si vous donnez aux gens une certaine marge de manœuvre, ils se lanceront avec plaisir dans une nouvelle version de la réalité.”
Cette phrase de Misha Kahn résonne comme un manifeste. L’exposition ne se contente pas de présenter des objets, elle propose un changement de regard. Une incitation à quitter les sentiers battus du quotidien pour s’aventurer dans des mondes parallèles, faits de reflets, de matières vivantes et d’objets chimériques.
Dans Rien à voir, cette quête prend la forme d’une évasion joyeuse hors du réel convenu, où le spectateur devient acteur d’un univers en constante mutation. À travers ses œuvres, Kahn ouvre une brèche sensorielle dans notre perception du design, rappelant que le merveilleux peut surgir là où on ne l’attend pas.
Anne CANDY
Infos pratiques
Dates : 25 juin → 9 juillet 2025
Lieu : Galerie Montpensier, Palais Royal, 15 galerie Montpensier, 75001 Paris
Horaires : 10h – 19h, tous les jours / Entrée libre
Crédits photos
Photos des oeuvres en expo : Courtesy of Friedman Benda and Misha Kahn – Photography by FabriceGousset
Portrait Misha Kahn © : Courtesy of Friedman Benda and Misha Kahn – Photography by Lorenzo Bacci for Elle Decor
Portrait Misha Kahn © : Courtesy of Friedman Benda and Misha Kahn – Photography by Lorenzo Bacci for Elle Decor