Une fois de plus, les excellents Deportivo ont donné un concert d’une rare intensité dans l’antre Bordelaise. Afin de défendre leur 5ème album studio en 20 ans de carrière, le groupe Parisien repasse à Barbey et va enflammer une fosse volontaire et heureuse de revoir 2 ans après le Krakatoa, son groupe fétiche.
De « Reptile » à « Wait a Little While », l’heure 20 que proposent les 5 membres est essentiellement basée sur les nouveaux titres (la quasi-intégralité de l’album est jouée) en incluant les tubes qui ont fait leur renommée. « Parmi Eux », « La Salade », « Ivres et Débutants » ou « Les Bières Aujourd’hui s’Ouvrent Manuellement » empruntée à Miossec ravissent le théâtre Barbey et sont chantées à tue-tête. Sur « I Might Be Late », Jérôme Coudane invite les filles à monter sur scène alors que le batteur Julien Bonnet s’offre un bain de foule tout en soufflant dans sa trompette à la sonorité enfantine. L’atmosphère est excellente, la bière fraîche et les quelques prises de paroles du chanteur drôles. On sent la cohésion musicale entre les instruments rythmiques et les guitares qui rugissent jusqu’au dernier instant de « Paratonnerre » qui demeure, à mon goût, le top de Deportivo.
L’INTERVIEW
Diego : Dans quel état d’esprit êtes-vous depuis votre retour ?
Jérôme : Depuis notre dernier passage en 2023, on a continué à jouer de temps à autre et surtout, on a composé ce nouvel album. Grâce à une campagne participative, on a pu l’enregistrer dans de bonnes conditions. Aujourd’hui, on est totalement indépendants : plus de maisons de disques, on gère tout nous-mêmes, de l’administratif au graphisme… même le ménage ! C’est stimulant mais épuisant. À ce rythme, ça frôle la torture quand tu ne trouves pas le temps de souffler. Mais c’est un choix. Le crowdfunding nous rapproche de notre public, mais il génère aussi une charge de travail énorme qu’on ne soupçonnait pas.
Diego : Est-ce que ce virage “Do It Yourself” a ravivé l’élan de Deportivo ?
Jérôme : Clairement, c’est grâce aux gens qui nous suivent qu’on tient encore debout. Sans eux, on aurait probablement raccroché.
Julien : Le crowdfunding ne nous a pas « sauvés », mais il a redéfini notre relation au projet, et surtout au public. Cette interaction directe est précieuse. Tout s’est enchaîné : tournée, résidence, sortie de l’album, concerts, logistique… un planning de folie.
Jérôme : Et même en visant l’indépendance, tu restes dépendant d’autres maillons : le fabricant, le livreur… Et les gens deviennent impatients. Il faut répondre à des dizaines de mails pour expliquer les retards. Aujourd’hui, même en étant autonomes, on confie la prog à d’autres. On est au maximum de ce que permet l’indépendance. Et pour être honnête, même avec une maison de disques, on a toujours été libres, même si parfois on se sentait plus compétents que certains de nos interlocuteurs.
Diego : Comment était votre concert à l’Olympia de Paris la semaine dernière?
Jérôme : Un moment magique. Tout vibrant.
Julien : Rouge et rempli de sourires. J’ai eu comme des flashs, des absences, dans les jours qui ont suivi… Une sensation dingue. Et puis, tu retournes faire tes courses et voilà ! On a eu la chance de remplir de très belles salles, c’est un vrai bonheur.
Diego : « Reptile » dure 23 minutes pour 10 titres. Record battu ?
Jérôme : Oui, c’est notre album le plus court. « Parmi Eux » faisait 27 minutes avec deux morceaux de plus. Mais chez nous, pas de remplissage. J’ai toujours composé dans l’urgence, avec cette envie d’aller droit au but. On nous reprochait la brièveté de nos titres à nos débuts, mais on a tenu bon.
Diego : Et sur scène, vous ne les allongez pas ?
Jérôme : Pas besoin ! S’ils sont équilibrés comme ça, pourquoi les modifier ?
Julien : À part un ou deux morceaux comme « Paratonnerre » où on ajoute un pont, c’est assez rare. C’est même amusant, j’ai découvert la durée totale de l’album seulement au moment du mastering. Ce n’était pas calculé.
Diego : Ce n’est pas du The Cure !
Jérôme : (rires) Un de mes potes adore The Cure, mais moi, je préfère quand ça claque.
Julien : On préfère la frustration au gavage.
Jérôme : Lorsque j’étais jeune, les concerts trop longs m’ennuyaient.
Julien : Et même si on pourrait jouer deux heures avec cinq albums, ce n’est pas notre style.
Diego : Cette urgence plaît au public. Et si vous étiez des reptiles, vous seriez lesquels ? (rires)
Jérôme : Une araignée, un écureuil ? Aucune idée ! (rires)
Julien : J’en ai croisé plein. Les reptiles, c’est ancestral, et pourtant ça évolue. C’est parfois perçu comme agressif… Mais un lézard me va bien.
Diego : Un margouillat ? Petit lézard translucide d’outre-mer ?
Julien : Je connais ! Le coach de foot de mon fils leur fait adopter sa posture pour l’échauffement.
Jérôme : Transparent ? Je prends. Un margoulin-margouillat ! (rires)
Diego : La guitare d’ »Avide » sonne un peu Django. C’était voulu ?
Jérôme : Pas consciemment. Ça aurait pu sonner Brassens aussi. C’est venu d’une rythmique simple. Merci du clin d’œil !
Diego : Et « Rubiskube », c’est un concentré de Deportivo en deux minutes. Comment vous imaginez vieillir ?
Jérôme : En répondant encore à des mails de retard ! (rires) Plus sérieusement, je ne me projette pas trop loin. On fonctionne à court terme. J’ai toujours eu cette impression que tout pouvait s’arrêter, alors on reste dans l’instant.
Julien : Il y a 20 ans, je me disais : « Un jour ce ne sera plus de ton âge ». Aujourd’hui, on est encore là, et bien à notre place.
Jérôme : Avec l’âge, t’as moins peur de sortir des clous.
Julien : Vieillir, ce n’est pas se priver. Même dans une vie bien rangée, on peut continuer à s’éclater.
Diego : « Fiasco », c’est votre titre préféré en live ?
Jérôme : L’un des plus durs à jouer, en tout cas ! On l’a composé à la fin de la campagne Ulule. Il est né très pop, puis on l’a retravaillé avec Brice Borel. Il adorait ce morceau. « Alloués », lui, était un vieux titre que j’avais envoyé à un pote deux ans avant.
Diego : Et « Traînards », ce piano-voix atypique ?
Jérôme : Il apporte une autre couleur à l’album.
Julien : On joue tous les titres de « Reptile » sur scène sauf « Rubiskube » et « Avide ». Ils ne s’intégraient pas bien dans les blocs du set.
Diego : On parlait tout à l’heure de ce « flashback » post-concert. Vous le vivez aussi ?
Jérôme : Oui, ces retours furtifs sont très agréables.
Julien : Il y avait même des affiches à l’Olympia sur le sujet. Ça montre que les concerts comptent vraiment pour les gens. Comme un souvenir de voyage.
Diego : J’en ai plein en tête !
Jérôme : J’ai un pote fan de New Model Army. Il les suit partout.
Julien : Une bonne excuse pour voyager !
Diego : Le clip de « Reptile » est signé Christophe Acker ?
Julien : Oui et fait à l’arrache, sur fond vert, plein de clins d’œil. Christophe réalise tous nos clips.
Jérôme : Tourné à l’Etage, une salle de Rennes. Le régisseur est fan. On y voit notre ville en banlieue Parisienne, nos débuts, notre quartier, et même une touche Star Wars pour l’ambiance cosmique.
Diego : Et la pochette ?
Julien : Mon fils ! C’est un collage qu’il a fait. On y a ajouté une langue de reptile.
Jérôme : On avait testé l’IA, mais ça rendait tout trop agressif. Le collage, c’était parfait, entre enfance et maturité.
Diego : Quelles sont les 5 plus belles minutes du groupe ?
Julien : Les 5 prochaines !
Jérôme : Ou 5 fois 1 minute ! (rires) Je pense à ce jour où nous étions en banlieue, sans maison de disques, et où notre futur manager nous annonce que des labels sont intéressés. Ce jour-là, la frustration s’est envolée. C’était un tournant.
Diego : Si vous pouviez dîner avec quelqu’un, vivant ou mort ?
Jérôme : Ma mère, sans hésiter. Pour parler de belles choses.
Julien : Mon grand-père. Sinon, John Lennon, ce serait cool !
Diego : Des festivals en vue ?
Jérôme : On a un vieux souvenir raté des Transmusicales, on n’était pas prêts.
Julien : C’était il y a 20 ans ! On aimerait revenir dans des festivals rock de « première division »…
Diego : Merci à vous !
Jérôme & Julien : Merci à vous deux.
Interview : Diego
Photos : Laurent Robert.