Cette année, le festival de Cannes, placé sous la présidence du jury de Juliette Binoche, a été marqué par l’émotion, le militantisme et un incident technique majeur. Le jour de la clôture, un sabotage électrique a plongé la ville dans le noir pendant quelques heures, interrompant la cérémonie de remise des prix avant que le courant ne revienne. Retour sur cet événement du 7ème art mouvementé :
Le Jury du 78ᵉ Festival de Cannes, placé sous la présidence de l’actrice française Juliette Binoche (40 ans de carrière et plus de 70 films), était composé d’une assemblée éclectique de personnalités du cinéma et de la culture : l’actrice et réalisatrice américaine Halle Berry, la cinéaste indienne Payal Kapadia, l’actrice italienne Alba Rohrwacher, l’écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani, le documentariste congolais Dieudo Hamadi, le réalisateur sud-coréen Hong Sangsoo, le cinéaste mexicain Carlos Reygadas, et l’acteur américain Jeremy Strong. Ensemble, ils ont décerné les prix officiels parmi les 22 films en lice dans la Compétition.
Dès l’ouverture, un puissant message politique s’est manifesté avec plus de 350 créateurs, dont Jonathan Glazer, Pedro Almodóvar et Aki Kaurismäki, pour dénoncer publiquement la guerre à Gaza et rendu hommage à la photojournaliste Fatima Hassouna, tuée en avril. Puis la magie du festival s’est opérée, créant dans son sillage du glamour et des paillettes, à chaque montée des marches…
Palmarès et triomphe cinématographique
Palme d’Or
Jafar Panahi remporte la Palme d’Or avec It Was Just an Accident, un thriller vengeur tourné clandestinement en Iran. Ambassadeur de la liberté, Panahi a ému l’audience lors d’une standing ovation et a appelé à la liberté en Iran.
Le réalisateur, scénariste et monteur Jafar Panahi, né le 11 juillet 1960 à Mianeh en Iran, est l’une des figures les plus emblématiques de la Nouvelle Vague iranienne, connue pour ses fictions poétiques et engagées. Formé à l’école de cinéma de Téhéran et assistant d’Abbas Kiarostami, il remporte dès ses débuts la Caméra d’Or à Cannes en 1995 pour The White Balloon, marquant le début d’un parcours intimement lié à la critique sociale. Malgré son talent, Panahi devient une cible du régime iranien : en 2010, il est condamné à six ans de prison et interdit de filmer ou voyager, mais parvient à tourner en secret des œuvres cultes telles que This Is Not a Film, Taxi Téhéran (Ours d’or à Berlin) et No Bears, renforçant son statut de dissident courageux.
Libéré en 2023 à la suite d’une grève de la faim, il revient triomphalement à Cannes quelques jours après le début du festival avec It Was Just an Accident, tourné clandestinement en Iran sans autorisation officielle – un thriller puissant sur la vengeance et la mémoire. Ce film lui vaut la Palme d’Or, recevant une standing ovation de huit minutes ; il devient ainsi l’un des rares cinéastes à obtenir les plus hautes distinctions dans les trois grands festivals (Venise, Berlin, Cannes). Emblème du cinéma comme forme de résistance, Panahi incarne aujourd’hui la force de l’image face à la censure, persévère avec un nouveau projet en Iran, et illustre, par son parcours, la puissance politique et morale du 7ᵉ art .

Grand Prix
Sentimental Value, du Norvégien Joachim Trier, reçoit le Grand Prix, salué pour sa profondeur émotionnelle et son authenticité familiale .
Prix du Jury
Ex-aequo entre Oliver Laxe pour Sirât et Mascha Schilinski avec Sound of Falling, deux œuvres très appréciées pour leur force visuelle et narrative.
Meilleur réalisateur et acteur
Kleber Mendonça Filho pour The Secret Agent décroche la mise en scène, tandis que Wagner Moura, vedette du même film, reçoit le prix d’interprétation masculine .
Meilleure actrice
Nadia Melliti, dans The Little Sister (La Petite Dernière), est sacrée meilleure actrice. Son rôle d’une jeune femme d’origine algérienne en quête d’identité a captivé les jurés .
Meilleur scénario
Les frères Dardenne, fidèles de Cannes, raflent le prix du scénario avec Young Mothers.
Trophée Caméra d’Or
Décerné à Hassan Hadi pour The President’s Cake, première irakienne lauréate, saluée également par le Prix du public de la Quinzaine.
Coup de projecteur sur les courts et sections parallèles
I’m Glad You’re Dead Now (Tawfeek Barhom) remporte le Prix du court-métrage
In Un Certain Regard, prix principal à The Mysterious Gaze of the Flamingo, réalisé par Diego Céspedes, et prix du jury pour A Poet.
Le documentaire Imago décroche le Golden Eye, tandis que la Queer Palm revient à The Little Sister.
Le travail immersif From Dust de Michel van der Aa est mis à l’honneur dans la compétition VR.
Un festival artistique et engagé
Le Festival de Cannes, né en 1946, trouve ses racines dans un contexte éminemment politique. Imaginé dès la fin des années 1930 comme une réponse artistique aux manipulations fascistes de la Mostra de Venise, notamment après la victoire d’un film nazi en 1938, il a été pensé comme un sanctuaire de la liberté de création et d’expression. Bien que sa première édition prévue en 1939 ait été annulée en raison du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, le festival est officiellement inauguré sept ans plus tard, en septembre 1946. Depuis, installé sur la Croisette, il est devenu un des plus prestigieux rendez-vous du cinéma mondial, réputé pour ses sélections exigeantes, ses découvertes de talents et sa Palme d’Or, convoitée comme l’un des plus grands honneurs du septième art. Plus qu’un simple festival, Cannes est une scène internationale où le cinéma s’affirme comme art et conscience du monde.

Encore une fois, Cannes 2025 a montré son visage politique et engagé : prolongement du soutien à Gaza, remise en cause des ingérences populistes (notamment via les mots cinglants de Robert De Niro envers Trump), et présence affirmée de la liberté d’expression illustrée par Panahi et les réalisateurs de Gaza.
Malgré les coupures d’électricité, l’ambiance est restée vibrante — entre red carpet, prises de position fortes et ovations retentissantes. Des sentiments variés, de l’émotion avec Panahi au choc esthétique de Sentimental Value. Une édition politique, engagée, audacieuse et profondément cinéphile, fidèle à l’esprit du rendez-vous cannois.
Le Festival 2025 s’achève avec un message universel : le cinéma, puissance d’émotion et outil de protestation, reste une lumière intense même dans les ombres. L’édition 2026 promet déjà d’être passionnante.
Patrick Koune
Photos : Marco Tassini pour Luxe Infinity Magazine